lundi, juin 11, 2007

Le questionnaire de Procuste





Ne sachant trop comment un introduire un tel sujet qui m’a été suggéré par un blogofrère (oui sur la même base que confrère), j’ai pensé d’abord à taper bêtement « quatre » dans le moteur de recherche d’images Google, et ô combien ne fus-je pas déçu ! Presque autant qu’avec le terme anglais « four », et encore plus qu’avec « cube », sans oublier qu’un cube comprend six faces. Décidément, cela ne le fit pas. C’est alors que je pensais à la forme d’une pyramide dont quatre faces seulement sont visibles, et deux simultanément. Essayant tant bien que mal d’extraire de BrainDamage quelque chose d’intelligent sur un propos qui ne l’est pas, j’ai soudain vu les faces visibles d’une pyramide comme les deux pages d’un livre ouvert ; l’essentiel est ailleurs, au-dedans. Quel plus bel ouvrage alors que la Pyramide du Louvre transparente comme les plus belles pages des éditions françaises, diaphane tel un écrit, laissant paraitre la structure complète de l’architecture, dévoilant un œuvre filigranée, pour représenter cela ? Le Louvre étant un haut lieu de la culture universelle, l’image me parut, somme toute, appropriée.

Dans l’ordre, mes quatre premières lectures furent :

Le vieil homme et la mer, de Hemingway ; L’autre, d'Andrée Chédid ; La neige en deuil, de Henry Troyat ; ça sentait la gauche à plein nez, des livres déprimants bourrés d’affects et d’humanité. Ruy Blas, de Hugo. Selon certains profs, Hugo ne serait pas si bon dramaturge qu’il est un grand romancier et un poète ; cette lecture m’avait pourtant fait aimer lire le théâtre, puis ça parle un ado ces histoires d’amour et de cochonneries. Chouette bouquin, though !

côté BD: je fus nourri au grain communiste (je l’ignorais) de Pif et Hercule. J'ai lu presque tous les Tintin, Lucky Luke, Asterix, et un paquet de Gaston Lagaffe.

Les quatre écrivains que je relirai encore et encore :

Camus, Sartre, Kundera (à égalité avec Paroles de Prévert, pour la légèreté de ton et de forme et la gravité des thèmes), et Alessandro Baricco. Les deux premiers sont d’ores et déjà considérés comme des classiques de la littérature contemporaine, le troisième est probablement en train de le devenir, et le quatrième le sera peut-être.

Baricco est un écrivain tout à fait exceptionnel, à mon sens, résolument moderne sans être rébarbatif comme le seraient les grands écrivain du XXe siècle. Il allie volontiers une trame narrative captivante à des digressions presque surréalistes, tout cela conté avec l’immense talent d’un musicien. Non pas que les sonorités traduites de l’italien ne soient pas trahies, mais il demeure un rythme, puis le latin n’est jamais si loin de la langue de Molière. Comme un bon musicien de son époque Baricco compose ses textes avec une ponctuation altérée, telle une partition ouverte aux libres choix de l’interprète. Un artiste.

Les quatre auteurs que je ne lirais probablement plus jamais :

Agatha Christie, James Hadley Chase, Danielle Steel… Un seul de leurs livres suffit. Une seconde lecture n’apporte rien, me semble-t-il — sans vouloir heurter la sensibilité des amateurs. Barbara Cartland ou n’importe quel roman Arlequin — j’avoue que j’ai quand même essayé.

Les quatre livres que j’emporterais sur une île déserte :

En tête de liste figure évidemment le saint Coran, accompagné si possible d’une explication bilingue et bien fournie.

L’œuvre ouverte
, un essai d’Umberto Eco d’une grande intelligence et qui aurait saisi toute la postmodernité artistique. Je crois que c’est un peu grâce à ce genre d’ouvrage que nous disons aujourd’hui que l’appréciation d’une œuvre est une chose toute subjective. Eco postule dans cet essai qu’une œuvre se lit comme le musicien interprète une partition. Il ajoute qu’il existe plusieurs lectures par lecteurs, autant d’œuvres que de lectures, en comparant les galaxie ou les structures mises au jour par la physique quantique à la perspective de l’esthète voyant chaque fois dans
une toile abstraite un réseau signifiant différent ; en cela, il rejoint le système « codal » (néologisme nécessaire) développé à travers l’œuvre de Barthes.

Novecento : pianiste
de Baricco. Un récit aussi court que dense, à tri-chemin :) entre le théâtre, le récit et la poésie. Comme je serais seul sur cette ile, je n’aurais plus besoin de lire Sartre ou Camus. Et puisque j’aurais le temps de me faire chier pourquoi pas prendre un roman de type un-méchant-paquet-de-briques tel À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, qui si l’on en croit Françoise Giroux n’est pas dénué d’humour. Une œuvre monumentale et ouverte à de multiples relectures (c’est conçu pour).

Enfin, Les figures du discours de Fontanier le plus bel ouvrage didactique qu’il m’ait été donné de lire. Plutôt qu’une grosse et insipide anthologie ou un aride grammaire, ce texte procure une joie de lecture surprenante, tout serti de citations classiques ; il est du reste rédigé dans une langue exemplaire. De quoi m'inciter à jeter une bouteille à la mer.

Les quatre livres que je suis en train de lire :

À l’Ouest rien de nouveau, Erich Maria Kramer (dit Remarque en France) ; L’insoutenable légèreté de l’être, Kundera ; L’art du roman, Kundera ; Qu’est-ce que la littérature ? de Sartre.

Sur les conseils éclairés du jeune mais
non moins lucide nababstoun je me suis procuré l'ouvrage de Kramer. C’est le récit d’un soldat vivant l’enfer des tranchées durant la Grande Guerre (appréciez l’emphase méliorative) ; un récit tout à fait moderne par l’emploi du présent et caractérisé par une grande honnêteté dans le ton : loin de l’héroïsme des récits épiques, il n’y a là ni gloire ni courage, simplement de l’humanité, dans tous ses travers et déboires, confrontée à l’horreur quotidienne.

Je ne présenterais pas les ouvrages du célèbre Kundera, mais je ne saurais que trop recommander la lecture de l'exquise réflexion de Sartre sur la littérature. Comment dire ? Il a cela de commun avec Roland Barthes que ses essais sont peu ou prou annotés. Loin des standards académiques, on sent chez eux une véritable vocation pour l'originalité, un investissement bien plus personnel sans que cela nuise à l’objectivité. À l’évidence, au moment où Sartre écrit ce texte, il adhère encore au Parti Communiste Français. Il s’en ressent, notamment dans l’idée fondatrice de l’essai : le matérialisme historique, à savoir que la littérature n’est que le reflet de la société et de ses mouvances, et non plus le résultat d’un génie individuel, voire plus archaïque, le fruit d’une inspiration divine.

Les quatre premiers livres de ma liste à lire ou à relire :

Il est là sur ma table de chevet, en édition originale Gallimard grand format, 21 cm, 495 putains de pages et demi. Et demi! Je ne dirais pas que je m’y suis attaqué. Car, il faut plus. Il faut carrément l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU. L’ogre se nomme Globalia de Jean-Christophe Rufin. Et je le soupçonne d’être la cause directe de mes insomnies.

Suivant les conseils éclairés du jeune mais lucide nababstoun je devrais pouvoir lui emprunter Voyage au bout de la nuit de Céline, sitôt qu'il aura fini sa 26e relecture. Il ne m’a pas convaincu de le lire pendant les heures et les heures qu’il m’en a parlé, l’expression appropriée me semble plus proche de ce que l’on nomme habituellement un « lavage de cerveau ». Je crois même que je commence à me sentir célinien… moi aussi :p

Une chose qui sera bientôt de la plus pressante actualité : la pensée islamique. J’ai découvert par hasard l’excellent essai de Rachid Benzine intitulé Les nouveaux penseurs de l’Islam, publié conjointement en 2004 par Tarik éditions et Albin Michel, mais offert
au Maroc au prix très démocratique de 70DH. Une somme, de qualité académique, et dans une langue qui ne souffre pas le reproche. Il y passe en revue les courants de pensée de la théologie islamique de tous bords avec un net penchant en faveur des réformateurs.

Tous les ouvrages de Jacques Aumont, à commencer par L’esthétique du film (que j’ai beaucoup fréquenté), L’analyse des films (longuement parcouru) et Les théories des cinéastes dont je dispose, mais que je ne me résous pas à aborder en profondeur. Aumont, professeur à Paris III, a rédigé l’essentiel de la théorie cinématographique, faisant la synthèse et le tri parmi tous les écrits sur le cinéma. Dans la même veine, il existe un ouvrage en réédition tout aussi nécessaire ; avis aux intéressés : un essai de Christian Metz, Le signifiant imaginaire, publié initialement en 1977. J’aimerais dire une chose à ces bouquins non disponibles au Maroc : « Vous perdez rien pour attendre! »

Les premiers mots de mon livre préféré :

« Puis-je, monsieur, vous proposer mes services, sans risquer d’être importun? Je crains que vous ne sachiez vous faire entendre de l’estimable gorille qui préside aux destinées de cet établissement. Il ne parle, en effet, que le hollandais. A moins que vous ne m’autorisiez à plaider votre cause, il ne devinera pas que vous désirez du genièvre. Voilà, j’ose espérer qu’il m’a compris. Ce hochement de tête doit signifier qu’il se rend à mes arguments. »

Albert Camus, La chute, 1956.

Pour autant que je puisse le faire, je relis ce livre annuellement.

Les derniers mots d’un de mes livres préférés :

« […] A six heures, le corps du père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l'argent de l'étudiant. Quand les deux fossoyeurs eurent jeté quelques pelletées de terre sur la bière pour la cacher, ils se relevèrent, et l'un d'eux, s'adressant à Rastignac, lui demanda leur pourboire. Eugène fouilla dans sa poche et n'y trouva rien, il fut forcé d'emprunter vingt sous à Christophe. Ce fait, si léger en lui-même, détermina chez Rastignac un accès d'horrible tristesse. Le jour tombait, un humide crépuscule agaçait les nerfs, il regarda la tombe et y ensevelit sa dernière larme de jeune homme, cette larme arrachée par les saintes émotions d'un cœur pur, une de ces larmes qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent jusque dans les cieux. Il se croisa les bras, contempla les nuages, et, le voyant ainsi, Christophe le quitta.

Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s'attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses: "A nous deux maintenant!"

Et pour premier acte du défi qu'il portait à la Société, Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen.

Saché, septembre 1834. »

Balzac, Le père Goriot, 1835.


Avant de clore ce billet, j'aimerais à présent lancer l'invitation à quelques vaillants blogueurs et blogueuses, j'appelle à la barre:

Miss Coucous Poulette ;
Mister Nababstoun ;
Mister Space Cowboy ;
Mister Kusodomo ;
et pour finir Mister Lato Sensu.

Have fun!

11 commentaires:

Kusodomo a dit…

au temps pour moi, je pensais que c'était le questionnaire de Proust moi!
m'enfin bon, je m'y mets et c'est sur le cake très bientôt

Anonyme a dit…

okay dude, je m'y attèle:)

Marie-Aude a dit…

le vieil Homme et la Mer, ça fait partie de mes rejets scolaires... Ruy Blas c'était chouette :)
Pour cause de communisme, j'étais interdite de Pif, mais j'avais quand même droits à quelques gadgets exceptionnels.

Ah oui, Kundera, quel bonheur, je l'avais oublié...

Enfin encore des livres à rajouter à ma liste, chic !

N@doud@ a dit…

Miraculeusement, je me trouve aujourd’hui a decouvrir des livres que j’aimerai bien lire afin de combler ma bibliotheque, et a vrai dire, la tienne est bien fournie
En voila d’autre a noter
Merci

Anonyme a dit…

je te rend la visite avec plaisir :)

et je me rend compte que dans ma liste à moi j'en ai oublié certains auxquel tu m'a fait pensé

Troyat avec qui j'ai rêvé en premier de russie et de révolution Bolchévique, toute la série de la lumière des justes... que de souvenirs bien lointains :))

et puis franchement Baricco est tout simplement sublime ... pourquoi est-ce que je l'ai oublié ???? :)))

quand à tes questions chez moi je vais de ce pas y répondre :)))

Anonyme a dit…

J'ai étudié dans un collège public, puis dans un lycée public marocain, j'ai été un ado à problèmes et un jeune homme peu fréquentable, alors côté lecture, je ne suis pas aussi calé que toi, mais j'ai quand même adoré l'Odyssée d'Homère et Quo Vadis ? à 12 ans, j'ai dévoré des magazines à 14, et là je suis quasiment amoureux du Prince de Machiavel.

Pour les Chase, je dirais qu'on pourrait même en lire 3, les S.A.S aussi, et les Agatha Christie si l'on met en stand-by ses facultés d'analyses et tous les téléfilms et les Hitchkock dont on s'abreuve durant une existence !

Anonyme a dit…

Je ne lis plus (sauf les notices !)mais celui qui m'a laissé une grande impression : Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Lorca.
Merci de ta visite tardive sur mon blog...

Pas a pas a dit…

bonjour braindamage
merci de votre passage chez moi ,je vous y laisse un commentaire au sujet de votre question
je suis nouveau chez vous,je prendrai ,c'est promis le temps de me mettre a jour de vos lectures
a bientot
patrick

Brilliant Brain a dit…

Enooooooooooooooooorme!
Je viens de battre encore une fois le record du nombre de commentaires pour un de mes billets :D
8 sans compter les miens: alors auto-chapeau-bas pour cette performance explosive!

Je lance donc une offre d'emploi pour un gestionnaire de blog, un département de marketique sera créé en septembre, prière de laissez vos CV, coordonné dans l'espace "commentaires".
Si toutefois vous êtes blonde platine, genre Norvège du Nord, que vous avez la silhouette est svelte, l'allure gracile et les lèvres roses, envoyez immédiatement un courriel pour entrevue imminente et personnalisée :P

@ tous: thx and welcome to BD's blog! et special thx à ce qui on répondu favorablement à l'invit de Procuste.

@ marie-aude: ces lectures qualifiées de gauchistes, je les ai aimées, simplement elles étaient un peu sombre pour un gars en 6e, 5e. Par contre Pif est communiste/je comprends donc pas ta réponse.

@ n@doud@: vous m'en voyez flatté.

@ kenza: en effet, feu Henri Toyat quelle leçon d'humanité dans "La Neige en deuil"! Très beau, émouvant. Le plaisir est partagé :)

@ mehdi from agadir: détrompe cher ami, jusqu'à l'age de 18 ans, je n'avais pas lu + de 10 bouquins. Je me suis bien rattrapé en 1e an d'études littéraires, 40 bouquins en 2 semaines/fin de session. Résultat: complément allergique aux volumes trop épais.

@ bellelurette: "Cent ans de solitude" figure dans ma plus pressante liste de lecture. Un chef-d'œuvre incontesté. J'ai bien hâte de le lire.

@ pas à pas se fait notre chemin: vous êtes le bienvenu , merci de la visite. Vous savez que j'ai une sympathie spéciale pour les motards comme moi. :D

Space Cowboy a dit…

WE prochain inchallah, ce sera une bonne occasion pour un petite retrospective de mes lectures..."Écrire, c'est se souvenir. Mais lire, c'est aussi se souvenir." F. Mauriac (Mémoires Intérieurs)

PS: Au fait K. Soussan était bon!;)

Brilliant Brain a dit…

Oui superbe édition 2007.
Si tu es un mnémo-trippeux tu devrais tripper sur l'hypno-lecture proustienne.