lundi, décembre 24, 2007

Chroniques du front de l’Est 1943-1944. Partie I

Le texte suivant est l'authentique récit d'un soldat russe anonyme. Encore jamais publié, il n'a subit aucune altération. C'est un récit brut, parfois mal écrit, sans concordance entre les temps. J'ai préféré le publier pour la première fois de l'histoire tel quel, pour ne rien sacrifier de sa vitalité à une écriture plus formelle et stérile. Ce n'est que la première partie d'une longue série. Le soldat en question ayant pris l'habitude de l'écriture avait progressé et amélioré sa rédaction jusqu'à devenir digne du du statut d'auteur confirmé. Il n'existe pas à ce jour de texte sur la guerre qui soit aussi sincère, émouvant et vivant, sinon bien connu récit d'Erich Paul Remark intitulé Im Western nicht Neues.

À cinq degrés Celsius par une brise de nuit, il commence à faire froid; une heure plus tard, l’eau encore tiède vous réchauffe encore un peu à chaque gorgée. Toutes nos réserves de vodka sont épuisées; ceux qui ont encore un peu d’alcool dorment bien ou le monnayent à prix d’or. Plus personne n’y croit, et dès qu’il se met à pleuvoir, tout le monde se demande s’il va passer la nuit. Nos bâches étanches nous servent à éviter un pandémie de pneumonies. Chacun survit jusqu’au lendemain. Même si on n’a dormi que quelques heures, les premiers rayons de soleil nous redonnent de l’énergie, et vite, tout le monde se réveille d’un coup et prépare son sac, la tente, les armes, en route. L’officier nous a ordonné de gagner du terrain sur le front Sud. On avance tous en trainant un peu des pieds car, il n’y a pas de risque. On se repose en fumant des Lucky Strike, une p’tit demi de vin d’Alsace au soleil. La zone est sécurisée nous a-t-on dit. On prend des pauses et des adresses des filles. Car le courrier, c’est important. Et puis ça donne une raison de vivre à certains paumés. Jusqu’à ce qu’éclate une déflagration, la terre tremble de toutes ses tripes, et tout le monde prend la boue de plein fouet dans la gueule. Certains ne se relèvent pas, généralement ils n’avaient pas leur casque. Pas de brancardier depuis bientôt un mois, alors ils restent là, souffrant leur derniers instants de duel contre la mort qui l’emportera toujours. Maintenant on boit sec les fonds de bouteilles, pour oublier cette merde au plus vite. Nous savons déjà que le soir venu, il y aura à boire pour tout le monde!

Chacun se camouffle dans les bas-côtés. D’un côté dans l’herbe, de l’autre dans le buisson. Les tirs de mitrailleuses sifflent. D’après les salves, il y en a deux. Une voix rugit plus loin dans notre camp : « Striker ! »

Lucky Striker doit ce nom à un soldat américain rencontré après une bataille commune. L’Américain lui a dit, en mimant un sniper : Lucky… puis en imitant un tir de fusil : Striker! Ce faisant il visait le crâne de L. S. Provoquant l’hilarité générale. Lucky Striker avait cru, dans sa jeune naïveté, voir en cette illustration l’image de l’Amérique. Ils n’avaient de cesse de se renvoyer amicalement ce pseudonyme comme signe de salutations provoquant des rires de plus en plus improbables. Mais depuis ce jour, Striker est notre meilleur sniper.

Il est parti devant nous, il éclaire la zone. Généralement il nous précédent à moto de quelques vingt kilomètres, ensuite le motard qui nous reste revient chercher le deuxième éclaireur. Ensuite à tombée de la nuit, ils sont revenus à pied et font leur rapport à l’officier. Nous savons que demain sera vraiment paisible.

La déflagration tout à l’heure, une simple malchance disent les officiers. Sans signal radio depuis quelques jours, personne ne peut le contredire. Peut-être un simple tir d’essai qui aurait atterri dans nos pas.


Nous avons bu hier. Et les prévisions semblent bonnes du moins jusqu’à mi-chemin.



La rafales d’hier n’ont fait aucun mort. Lucky Striker a très vite réagi. Nous avons tous très bien réagi. Cette attaque bien que mineure aurait pu faire bien plus de dégât. Mais l’obus nous avait mis sous nos gardes et trop tôt, déclenché les tirs ennemis. Les deux mitrailleurs étaient des amateurs. De simples gardes frontières. Ceux qui ne vont pas au front. Ceux qui ne savent pas tirer avec une MG42 car elles les effraie plus que vous. L’officier nous avait bien parlé. Nous avons contre-attaqué par des tirs de couverture, pour libérer le flanc droit. Striker avait pris tout son temps pour les cibler de profil… Du gâteau! Le premier atteint d’une balle de fusil au crâne; le deuxième; même en examinant le corps le temps de se rendre compte que son acolyte est mort, n’avait pas pu déduire la trajectoire de la balle et l’emplacement du sniper qui était seulement 30 mètres à sa gauche. Il l’a tué d’une balle de revolver à la tête. C’était la blague récurrente pendant la soirée. L’officier nous a acheté du vin à moitié offert, et nous avons chanté la marseillaises dans un bistrot ouvert, pour la circonstance, toute la nuit. Le monsieur qui tenait l’établissement nous servait des tournées gratuites toujours avec un sourire en répétant à qui veut encore l’entendre: C’est pour le repos du guerrier! Certains d’entre nous, plus chanceux, finissaient la soirée aux bras d’une fille de joie. Nous avions sauvé un village. « Et qui sauve un village libère tout un pays » répétait l’officier. Nous avons récupérés de très bonnes armes allemandes : deux mitrailleuses Maschinengewehr 1942, quatre pistolets Walther P38, dix grenades à manche dite « presse-purée », des munitions, de la bouffe. Pas le temps pour le reste. Une bonne dame avait promis de remettre les uniformes allemands au prochain officier, de même que les conserves restées-là.

Nous savons qu’à dix kilomètres au sud-est se trouve une batterie d’artillerie repérée par Striker. La chasse est ouverte, nous sommes tous aux aguets avançant pas à pas, dans le bois alentour. Les mitrailleuses sont prêt à déployer en cinq minutes, nos snipers et fantassins partent en éclaireurs et nous savons que l’ennemi nous à repéré. Pour la simple raison qu’ils ont arrêté les coups de canons depuis deux nuits maintenant, lorsque nous étions encore à 15 km. Ils avaient cessé leur tirs. Ce qui voudrait dire deux chose. Que leurs essais étaient satisfaisants ; qu’ils nous attendent. Nous avions les boules. Les tirs d’artillerie sont d’une cruauté indescriptible. Nous en avions tous été marqué. Nous avons ordre de nous disperser, nous sommes tout près. À cinq kilomètres du front ennemi, leurs canons n’ont toujours pas servis. À 20 kilomètres, personne n’avait pu déterminer avec certitude si c’étaient des tirs de canons anti-char ou d’obusiers autotractés de type Wespe, autrement dit « guêpe », munie d’un calibre de 105 mm. Entre-temps, Striker nous avait renseigné. Il y avait les deux. Les canons anti-char ne provoquaient pas de grands dégâts parmi l’infanterie. Leur projectiles tuaient rarement plus d’une personne. Le Wespe en revanche était craint par tout. Une explosion proche pouvait abattre un bataillon aussi vite qu’un château de cartes du revers de la main. Une arme démesurément infâme. Contre elle, nous avons quelques grenades allemandes, et les deux MG42, et nos fusils Mosin-Nagant trois lignes. Est-il possible de percer la tôle du Wespe avec une simple mitrailleuse ? Quelques rumeurs scintillent… personne n’a de certitude. Mais il faut essayer. Nous savons qu’ils ont au moins plus que nous de mitrailleuses. Comment les battre au feu de couverture ? Les tireurs d’élite auront un rôle majeur dans cette escarmouche. Atteindre systématiquement les mitrailleurs et leurs remplaçants d’une balle à la tête. Pendant que les fantassins créeront la diversion de face. Impossible de les prendre par le flanc, ils couvrent toute la largeur du front. Au mieux les snipers auront un angle de tir à onze heures. L’embuscade aura lieu le jour, sinon nous serons avantagés par l’inefficacité de l’artillerie adverse. S’ils nous attaquent pas aujourd’hui, nous préparerons une attaque surprise la nuit prochaine. Nous sommes plus de trois cents dans mon bataillon. Nous savons que la base militaire adverse compte près de trois mille soldats. Combien d’entre eux sont déployés ? Qui sait… cinq cents ? mille peut-être ? Nous savions qu’une guérilla les déstabiliserait à notre avantage. Eux qui sont si organisés et suréquipés militairement, en perdraient la boussole. Nous sommes les attaquants, donc nous sommes donc en position de force.

Le lendemain matin, les snipers nous informent que les troupes allemandes ont battu en retraire et que l’entrée principale du village est libre. Nous avions tous entendu cette histoire d’une bataille perdue à cause d’un guet-apens de ce type. Nos troupes avait commis l’erreur de croire que l’ennemi s’était retiré nous abandonnant la zone. Les tirs allemands fusaient de partout et en quelques secondes ils avaient abattus tous les officiers. Les troupes défragmentées subirent dans un désarroi complet des tirs de mortiers, les rafales des mitrailleuses allemandes, ensuite vint le tour du combat rapproché de nos deux infanteries. Nos vieux fusils Mosin Nagant complètement inadaptée à la tâche n’avaient fait que très peu de victimes, nous manquions cruellement de munitions. Les mitraillettes MP40 achevèrent le reste de nos troupes. Le massacre fut total. Et depuis, personne n’entre dans une ville apparemment libre sans un plan de riposte ou un plan de déploiement précis. L’officier, fort de la précédente petite victoire, était serein malgré notre infériorité numérique. Ils assignait les missions avec fermeté et brièveté, les soldats sortaient du QG investis d’une conviction profonde et d’un regard grave et déterminé. Les officiers resteront en dehors de la ville. En cas de retraire. Des tirs de mitrailleuses retiendront la contre-attaque allemande. Et nous rejoindre notre position initiale pour préparer à notre tour une contre-offensive. Les ordres de Moscou étaient clair, nous ne céderons pas un centimètres de terrain gagné. En cas de lourdes pertes, nous auront droit à du renfort, peut-être même un tank pris au Allemand et des tirs d’artillerie. Les renfort n’étaient plus qu’à cent kilomètres de nous. C’est à dire deux jours de route. Il faut trouver moyen de les encercler avec les MG42 sur les côtés, nous avions des chance de percer le blindé allemand. De face, aucune balle connue ne pourrait traverser trois centimètres de métal. La décision est prise, nous attaquons ce soir. Et dans deux jours. Avec l’appui des renforts, nous prenons le village.

Contre toute attente, les troupes ennemis avaient vidés les lieux. Ne laissant rien derrière eux. Et nous avions été abordés comme des libérateurs par des villageois dans une ambiance de triomphe immérité. Après chaque applaudissement, nos regard se croisaient dans la complicité d’une écoute attentive. Y a-t-il eu un tir pendant cet éclatement de joie artificiel ? Aucun n’avait baissé son arme. Le maire du village avaient adressé ses compliments officiels au Lieutenant, lui assurant que les Allemands s’étaient complètement retirés du village. Quelques heures passèrent, et nous buvions de tout, mangions à loisir charcuteries et fromages, petits repas chauds préparés par des mères de famille dont le mari avait été parfois assassiné, des fois pendu.

Nous prenons position dans le village, et attendons les renfort. Et quels renfort ! Depuis notre recrutement, nous n’avions jamais eu un char à nos côté, tout au plus quelques mortiers. Certains villageois nous remettaient fièrement quelques MP40 confisquées ça et là, et nous sentions notre force grandir. Depuis deux que nous avançons vers le Sud, nous n’avons eu aucune perte due aux tirs ennemis, seulement un cas d’hypothermie et quelques pneumonies. On gagne pas une guerre par le nombre ou la qualité, on la gagne par notre conviction. Plus du tiers des victimes sont atteint par l’arme la plus grave : l’arme psychologique. Certains accès de folies mènent aux meurtres du même camp, certains soldats sombrent dans les méandres labyrinthiques de la démence. Mais on parle pas de ces choses là. On les voit, on oublie, nous sommes là pour gagner me dit une voix lointaine dans mes souvenirs. Le jour de mon recrutement, notre formateur assigné nous avait fait répéter cela des dizaines de fois, peut-être durant toute la journée. C’est tellement loin tout ça maintenant.

À ma droite, je surprends une leçon donné par un autodidacte à nouvelle recrue :

« Les armes ont toutes une âme. Si tu écoute bien, aucune arme ne sonne comme l’autre. D’abord il y la distance et la direction, mais de plus chaque arme à un grain propre, comme un instrument de musique. Et pour les mitraillette légères, le rythme de chacune est différent. C’est alors qu’il faut savoir compter instinctivement. Tu sauras compter les rafales de trente-deux balles. Distinguer les bluffs comme les tir de pistolets des coups de fusil Mauser 98 K. Tu prendras l’habitude. Si tu survis à quelques embuscades, tu apprendras exactement à quel moment ta cible est en train de recharger sa MP40, son emplacement, sa direction, sans même avoir eu à regarder. C’est ce moment que tu devras saisir pour faire ton tir. N’oublie pas qu’une simple balle de ton fusil suffit à le tuer. Tu seras repéré et ton deuxième tir sera plus dangereux sinon impossible. Ce sera au tour de quelqu’un d’autre de tirer. Là tu tireras quelques secondes après-lui, usant de son tir comme d’une diversion en ta faveur. Tu auras une bonne chance de faire mouche si tu n’es pas touché en premier. Quand tu te caches, n’oublie pas de bien te recroqueviller derrière ta parure, l’ennemi à des fusils à lunette extrêmement précis. »


4 commentaires:

Brilliant Brain a dit…

Le texte précédent sera révisé dans les 2 premières semaines de janvier. D'ici là, wa ne m'en voulez pas! comme ça c moi

Pas a pas a dit…

bonjour
fabuleux , on s'y croit malheureusement
je te souhaite de bonnes fetes et une bonne année
patrick

Najlae a dit…

mon dieu, me faudraz des semaines pr lire ça..
bounani!

Brilliant Brain a dit…

@ Patrick:
C'est du vécu :D
Merci en tous cas.

@ najlae:
prends tout ton temps, 2008 est une année bissextile :P