mercredi, novembre 29, 2006

L’apprenti écrivain.



1999, été. Étudiant es lettres, Georges Cloné nourrissait l’ambition de faire de ce pseudo créé dans un site de clavardage, le nom d’un grand écrivain de son époque. Il avait cependant un impératif : manger. Et pour manger il fallait écrire, éditer et vendre. Écrire, il l’avait fait mille fois. Éditer, rêver dix fois ; vendre, il n’y pensait que dans les moments critiques de l’histoire de sa santé mentale. Passer à la postérité, il en avait un vague souvenir issu d’un coma éthylique. Enfin, il avait bon point d’être alcoolique. Cloné et Hemingway estimait-il, deux grands, tous deux alcooliques. Bien que l’alcool en l’an 2000 paraissait un peu rétro ; les amis de Cloné avaient tous consommé l’ecstasy, qu’ils trouvaient désuète. Lui, achetait hebdomadairement sa petite bouteille de scotch sans nom, qu’il s’efforçait d’apprécier au moins jusqu’au troisième verre, qui lui donnait le vertige et le sentiment d’être un écrivain dans le contexte idéal. Cloné n’avait jamais renoncé, malgré le ridicule, à l’usage d’une machine à écrire cacophonique et grinçante, tout à l’image de son écriture, que pas même sa mère n’avait pu flatter, de peur de le blesser par manque de crédibilité. Il écrivait mal, et mettait un temps infini à finaliser une page, mais en fin de compte, il écrivait. Il avait même publié un feuilleton entamé dans le journal de son village natal, et qui avait eu un certain succès auprès des analphabètes, dont ils disputaient les actions dans les salons de coiffure pour hommes.

Tout grand écrivain qu'il était, Cloné jugeait que toute œuvre était inachevée et, étant constamment sous l’effet latent de cette proposition, il n’avait jamais pu achever son feuilleton et se vit obligé de déserter son village, échappant ainsi aux joies cérémoniales du goudron et des plumes ou de l’autodafé. Enfin il le vit ainsi et s’en amusa, mais il avait conscience qu’il serait haï dorénavant dans son village et se sentit incompris. Tout comme Rousseau, qu’il abhorrait par snobisme et lisait en secret, il dût s’exiler. Enfin, il prit la chose ainsi, et se dit qu’il devait, lui aussi, fuir un jour de sa vie.

George Cloné emporta dans sa valise en simili cuir brun clair de mauvaise facture, sa quincaillerie. Et c’est là que je le rencontrais. À la sortie de la gare. Je vis un homme effaré, perdu. Il n’avait pas conscience d’être observé, son regard tellement éperdu semblait chercher l’approbation d’une mère. Il évoquait à ce point la pitié que je l’abordais avec beaucoup d’humilité. Flatter sa fierté de façade. Conforté, il embarqua, sans se douter un seul un instant que dans cette métropole, je serais son seul ami. George ambitionnait secrètement, comme bien des artistes de gare, de rencontrer les grandes figures de la ville. Quand plus tard, je repassais par là ou je l’avais déposé et l’y retrouvais, il accepta, avec empressement et un remerciement, que ses yeux trahissaient, de prendre un café avec moi, le petit chauffeur de taxi. Il me raconta tout, et que, écrivain, il aimait à rencontrer toutes les couches de la société. Il rit aux éclats et force condescendance, quand je lui dis que les seules couches de la société que je connaisse, étaient celles réservées aux bébés. À l’époque Cloné n’avait pas conscience de ce que ce message comportait de symbolisme militant. Il l’avoua 10 ans plus tard, je lui dis alors qu’il devrait se mettre à la peinture, car ça irait plus vite, et qu’au besoin, un peintre sans talent, peut faire un bon caricaturiste de trottoir. Il avait encore ri, puis me jeta un regard glacial et méprisant. Mais il ne comprit pas qu’un tel métier était en quelque sorte plus noble car, peu valorisé, et demandait plus de courage à son praticien. Tout cela il ne le voyait pas, il n’avait d’yeux que pour sa propre personne. Il m’avait avoué fantasmer souvent le jour de sa reconnaissance. Il me décrivait la scène, l’éclairage dans les yeux, de belles admiratrices au premier rang, le vieux dinosaure qui lui remettait son prix, et l’hôtesse, une enveloppe, un bouquet de fleurs et une bise. C’était donc un scénique. George Cloné aimait les feux de la rampe. L’écriture il n’en a jamais parlé, il parlait du succès, de l’argent, et de son présumé talent, de ce que va penser la postérité de son œuvre. Cloné était touchant de sincérité, de naïveté. J’avais décidé de suivre son périple. Alors chaque semaine, il me racontait : ses personnages dont il attendait désespéramment qu’ils le hantassent, ces histoires qui refusaient de prendre forme, ses gribouillages comme remède contre la page blanche. Enfin, qu’il était à l’aube de créer un nouvel événement littéraire, l’anti-roman. Puisqu’il y avait des anti-héros dans le Nouveau roman, pourquoi pas faire de l’anti-roman sans antihéros un nouveau courant dont il serait l’instigateur ? Il décrivait ce courant comme une convention contestataire des normes traditionnelles du roman, tout en refusant d’admettre que telle était l’exacte définition du Nouveau roman. Enfin, il se disait artiste refusant tout compromis, refusant d’écrire pour vendre.

Tout en refusant la suggestion que je lui fis d’être lui-même son propre et unique lecteur dans le cadre privé, et plongeur les fin de semaines dans le cadre public. Mais il avait de l’égo comme disaient mes confrères. Alors il écrivait, il écrivait et il parlait, mais ne publiait rien. Jusqu’au jour où il eut vingt-huit ans. Il décida de publier de nouveau coûte que coûte, quoique cela rapporte car, il commençait à avoir faim. Alors, il fit en vain le tour, manuscrit en main, des éditeurs les plus exclusifs, pour se rabattre sur le plus trivial d’entre eux. Ce dernier lui ordonna une commande, un livre de bien-être-santé-cuisine-psychologie. Il avait pour cela trois références mises gracieusement à sa disposition: Psychologie pour tous, Cuisiner tous les jours avec 5 €, et enfin Yoga, fengshui et bien-être au quotidien. Il fut ravi de faire tant de découvertes culturelles. Cloné ajouta avoir lu quelque part que tout grand écrivain était en premier grand liseur. Il pérorait, énumérait les exemples et s’en fit, fier de m’avoir tant appris.

Le musicien de rue



Tous les témoignages venant d’artistes de métro le révèlent: au tout début, le regard, se porte vers le haut et le vide, comme pour invoquer la bienveillance d’une muse ou celle d’Ihy, dieu de la musique. Les sociologues appellent cela l’enfance de l’art. Au premier vol de pécule, le regard se porte tout de go vers le bas, la pochette de l’instrument, ou le pot — réceptacle de la quête — pour ne plus le quitter. C’est alors qu’il scrute vainement l’approche de la personne — contact dans le jargon — qui va tout changer. Le visage se fait tout sourire et flatterie, sollicite dès lors l’approbation prometteuse d’un producteur inconnu, pour ne plus faire que cela. Les puristes l’appellent la corruption de l’âme, les ecclésiastiques, la vente de l’âme au diable, et les musiciens disent: la galère! La bohème! disait Aznavour.
De cette quête de reconnaissance, cette quête de somme, jaillissent les traits de l’identité future du musicien de rue. Car, en fin de compte le musicien n’y croit plus. Si son regard se porte encore vers le haut c’est pour éviter la chute incongrue d’une araignée de métro sur sa coiffe, provoquant ainsi la fuite des donatrices effarées et la famine d’un soir.